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EN BLANC
 
 
1.
Précipices quotidiens. Le temps d'une pensée qui dérape
les cils vacillent sur des demi-visions.
Grincement, une craie s'étire, insupportable.
Le mors aux dents  L'arpenteur mesure l'imaginaire.
Exhibées les ramilles des membres
Sanguine plus légère qu'un rouge à lèvres,
La mort aux dents. Sang des révolutions absentes.
Vêtements du désir, les points de suture
sautent au ventre du sens.
Caresse aux cuisses de plâtre. Prière, devant l'obstacle
le fruit se noue.Ecrire? Jouir? Assurer. Caresse colmatée
au flanc des jours.
 
 
2.
BLANC
Réunion des sept couleurs dont un rayon solaire est composé. Couleur de 
la
virginité. Maladie des végétaux, caractérisée par une sorte de 
poussière
blanche.
Espace laissé dans l'écriture sans être rempli. Etre en blanc, donner 
un
mandat sans en avoir reçu les fonds. Vers blancs, qui ne riment pas. Le
blanc d'Espagne  entre dans la composition de la craie ou de la 
peinture à
la détrempe. Blanc de fard, terre argileuse de Chio ou de Samos.
Blanc-manger, gelée animale mêlée à du lait d'amandes, à l'usage des
adolescents ou des personnes ayant l'estomac délicat. Blanc-raisin, 
onguent
employé contre les brûlures et diverses maladies de la peau.  Blanche, 
note
de musique dont la valeur égale deux noires.
 
 
3.
Au long d'une rue vide  page blanche au long
débris démesure retenue folie endiguée
rage sans mur que la page où s'abattre
Chasse aux larves aux larmes chasse au gibier fantôme
les mots  cailloux crachés enfants ratés
débris lacunes assemblés
retranchement cruel de moi-même à moi
vouloir-vivre qui de vivre retire
(de toute la forêt ne fixer que..)
Un silence s'étend filtre le stade abandonné
mise à mort
mise à moi
moi-même
nuage éraillé
 
 
4.
Les traits se défont   dérive de cire  plus loin que loin
entre deux eaux flottant à distance du quai
L'endormissement serait une fuite douce
 
Plaie d'un rire béant  bouche close
Sexe délit délicieux
( la blessure brille encore  tendre plomb fraîchement coupé)
 
Timbre d'une parole dite
C'étaient des mots justes comme  un doigt sur les lèvres:
pulpe, naissance de la voix.
 
 
5.
A la mesure des deux bras
La stripteaseuse une fois retirée la dernière peau.
Le masque arraché pellicule du visage.
Le couteau, décollé le placenta caressant.
Le blanc, couleur éraflée éraillée
ébauche d'un bas-relief à peine sensible: à peine.
Différence entre bas et jambe
à la lisière
caresse consentie à peine arcades de l'absence empreintes traces
soit-disant régulières
labyrinthes petits où circule l'angoisse à l'aise,
parfois empâtements, parfois membrane aquarellée, ruts légers fluides
avec des rigoles et des rigueurs, des ruptures et des îles,
des relâchements et des rides,
femme debout, femme couchée renversée assise
litanie de la périphérie profane  volontaire distance
 
Le jour se déplie comme un drap
Un creux pour la nuque absente
L'absolu a menti
absolument.
 
 
6.
Visions invérifiables d'un rêve pourtant proche
belle incohérence habille
habite   les images d'avant réveil
Mémoire comme du sable dans les yeux
Tu en avais, cette nuit-là, le corps même.
 
Blanc de sommeil, un bras sous la tête,
tu n'as pas senti ma bouche se poser à ton coude.
Détachée comme une page écrite.
Tombée dans le temps du jour
 
paysages balayés giration de feuille,
Avec, au centre, la cicatrice fraîche de l'attache.
 
 
7.
Truelle, plâtre à papier. Etale, reprend cette couleur
comme une caresse.
Petit jour le fond de teint craquèle: givre léger que la langue retire
au fruit déguisé;
sueur à l'aréole du sein.
 
Dessus dessous, dehors dedans, jeu de la délicate différence,
Le poète aurait, baroque, l'oeil bleu du tigre
et la pupille fendue s'animalise.
Les signes ne sont que dièses agaçants, altérés comme la voix s'enroue:
dans le rire, dans l'amour.
 
Parodie du pantographe. A l'instant de s'émouvoir
un regard de trop près dé vie
les bons sentiments.
 
La belle ouvrage meurt, trouée d'un sale coup au côté.
 
 
8.
Douceur caressée à rebours  main mordue comme un mouchoir
Ame submergée de toutes les couleurs
Cracher des pépins de colère
Plaisir laconique un carreau de ciel et des linges pendants
Ecarte les rinceaux des genoux
Le filet capte un peu de ciel avec l'insecte
 
Oubli cendrure     absence délitement.
 
 
9.
Tranchée l'épaisseur de l'eau je cerne un corps mort
où s'amarrent les mots
Je déplie les attaches gourdes où la langue me tient
( ma langue, comme un bloc mal équarri)
 
Sens rétractés    colonne de givre
coque de plâtre  gardienne du corps
 
Mue des couleurs enfance des linges bleux délire où un son file
seul
Muette errance comme corps se cherchant
 
Assez décrit les meurtres je lance les mots les mains
Touffeur des gestes qui lave une fièvre acide
Les cheveux lourds s'enracinent
 
Flottement commissures
Ecrire envers du rêve  écrire   entre
 
 
10.
A l'empreinte avant la marée A ce qui n'est pas encore
à la poussière à la buée
au souffle à l'écart à l'incohérence de toute parole
Au gest de suspens avant la jouissance à l'éraillement
du rire qui éparpillerait ce texte
au coup de poing qui fracasse
à la violence folle qui l'émietterait à l'éblouissement
qui ferait chavirer mes yeux de visions trop fortes
Aux ailes qui ne m'emporteront pas. A cela qui rendrait
toute écriture inutile.
Au corps transparent qui donnerait le même au même,
le dedans au dehors,
 
à l'oeil plutôt qu'aux choses vues
au chemin justement surjeté à l'instabilité vitale.
 
                                                    Carole Naggar 
 
 
*Ces poèmes ont été écrits pour accompagner des gravures de Joël 
Kermarrec et publiées en 1975 dans une édition bibliophile
 

 

                                  

 

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