À quoi bonne, la littérature?

Sur la banalité de lire un reportage de guerre dans un magasin littéraire

 

Oublions le fait que peu sont ceux qui lisent encore aujourd’hui. Une étude récemment effectuée par National Endowment for Arts montre que, pour la première fois dans l’histoire moderne des Etats-Unis, moins de la moitié des adultes américains lisent encore de la littérature (http://www.arts.gov/pub/ReadingAtRisk.pdf). Mais le fait que Lettre Internationale réserve neuf pages de son dernier numéro à un fragment du livre de reportage sur le génocide des enfants rwandais (Linda Polman - «We did nothing – Why the Truth Doesn’t Come Out When the UN Goes In, Viking, 2003) me fait songer à la futilité du concept traditionnel de littérature.

C’était une soirée calme et froide de juin quand, l’enfant couché, j’ai voulu me relaxer en lisant un ou deux morceaux du fameux magasin littéraire. J’ai tombé sur : « "Qu’est ce qui s’est passé?" "Papa et Maman tombés" dit l’enfant. (…) Nous regardons son pied rose, écorché. Il est comme une banane à moitié pelée, avec des lambeaux de peau tombant autour de sa cheville. "Et qu’est ce qu’on fait maintenant?" je demande. "J’ai aucune idée. On colle à la place les lambeaux en espérant qu’elles se guériront?" » (Lettre Internationale, édition roumaine, no. 49 – 50, p. 24 en bas).

J’avais l’intention de me relaxer quelques minutes avant de commencer à écrire… J’ai lu cet article et j’ai fermé le magasin. La chambre s`est remplie des enfants rwandais et des Christs battus sans pitié dans leur chemin vers Golgota, par les gens de Mel Gibson. Penses quoi? Fus je triste? Oui, bien sûr, j’ai même pleuré un peu. J’avais un sentiment de triste satisfaction. L’art, je me suis dit, est encore une fois sortie avec nous – ou plutôt dans notre place - dans la rue, en abandonnant ses itinéraires et ses connotations personnelles. Elle est de plus en plus franche et dure: plus du sang, plus de violence – la meilleure métaphore est la réalité. L’art d’aujourd’hui, et surtout l’art avant-garde, semble prêt de renoncer à cette magnifique salle des miroirs et des ego pour parler la vérité. Elle est même prête de renoncer à soi même, elle s’en fou, elle est devenue non-art.

L’avant-garde d’aujourd’hui – elle choisit d’être grotesque, cruelle, anti-art. Une sorte de reality show se glisse dans les plus juteux livres underground du moment, comme Notre dame des assassins par Fernando Vallejo ou La trilogie havanais par Juan Pedro Gutierrez. Pas nécessairement engagée, mais influencée plus que jamais par son milieu, l’art d’avant-garde prend la parole car la société ne la fait pas. Surtout pas ici, aux Etats-Unis. De l’art avec des connotations sociales et politiques – rien de nouveau. Que Sartre, Camus, Kafka sont passés par les guerres mondiales – ça se voit bien: la « transparence » de leur écrit nous a donné la chance de se contempler et de s’horripiler. Mais aujourd’hui, les artistes d’avant-garde n’ajoutent rien à la réalité. Zéro ego d’auteur, moins que jamais. Ils se dépêchent nous livrer un message urgent, pas du temps pour filtrer le morceau fraîche de réalité, pas du temps pour du « style » ou des pirouettes sophistiqués. La foule veut du sang. Pas étonnant le fait que le raffinement sadique des asiatiques est tellement en vogue, à voir la série Kill Bill du Tarantino.

J’ai re-ouvert Lettre Internationale la soirée suivante et j’eu la surprise de lire un article signé par Mircea Cărtărescu, l’un des plus importants écrivains roumains contemporains, isolé pour un temps dans un tour d’ivoire, dans des projets littéraires ambitieux. Le voilà, maintenant, « sortant dans la rue » avec toute une série d’articles sociopolitiques très véhémentes. Vlad Zografi, un autre important dramaturge contemporain roumain, et Mihail Galatanu, un important poète roumain contemporain, font la même chose. « Si pas nous, qui d’autres ?» semblent dire une bonne partie des écrivains roumains.

La littérature, vers quoi? Regarder Paolo Coello à la télé avec la casque sur la tête, dans un autre Iraque, transmetant son nouveau roman avec des personages réels – peut-être ça sera bientôt un lieu commun.

Adina Dabija