La chance de la littérature : petites langues, grandes langues 

 

                                

 

 

 

par Charles Carrère

 

foto: Alina Savin

 

 

Sur la Planète Terre les hommes s` expriment de manières différentes et variées; comme toutes les créatures; comme toute la création, cette immense Vie que les hommes nomment, différemment, selon leur culture, leurs croyances, leur sensibilité.

Ecrire, peindre, sculpter, bâtir, en un mot créer, c`est encore une façon de Parler.

Selon les Ecritures, le Verbe s`est fait Chair à l`image d`un dieu dont nous serons la Ressemblance. Nous ne pouvons donc dissocier la Parole de la chair; pas plus que nous pouvons séparer l`Esprit de la Matière.

Selon les scientifiques, la Parole serait le propre de l`Homme. Mais d`ou vient cette faculté que la Vie aurait a l`Homme? Comment la parole est devenue multiple et varié?

Nous savions qu`a l`aurore de notre humanité l`Homo-Sapiens est apparu, il y a environ 150,000 ans, quelque part, en Afrique; et qu`il a commencé a migrer dans toutes les directions. On a trouvé les traces de sa présence en Australie, en Asie, aux Amériques…ces facultés de déplacement et de la navigation supposent des possibilités de Communication. Et les scientifiques en déduisent que c`est ainsi que l`Homo-Sapiens a parlé.

Dans la Bible, le Poète écrit « L`Eternel dit : il n`est pas bon que l`Homme soit seul; je lui ferai une aide qui sera son vis-à-vis. Alors l`Eternel fit tomber un sommeil sur l`Homme; ouvrit ses cotes et libéra la Femme qui, des le principe, était dans l`Homme. Et L`Homme dit, dans la clarté du jour naissant : Tu es belle! »

Et la première parole fut trois mots : Tu es belle! Trois mots du regard ébloui. Trois mots de la racine du cœur à l`ardeur des lèvres : »Tu es belle! » De ce trois mots la Parole fut libérée en cascade de mots toujours renouvelés. Trois mots que le geste accompagnait; ce geste toujours inventé dans l`incessante recherche de la beauté; en art ou en littérature, vers des horizons toujours a conquérir.

Emerveillement dans la diversité de nos « Voyages », de nos langues, de nos langages.

Dans ce monde assourdissant, quand ivre d`entendre sans plus écouter, l`Homme aux matins calmes, dans la clarté nouvelle, ouvrira encore ses yeux sur ce « visage », comme aux premiers jours, il dira ces trois mots dans toutes es langues, les petites comme les grandes : nos vernaculaires qui ont forgé nos émotions et nos intelligences : nos véhiculaires qui nous permettent communication et ouvertures : cet extraordinaire Voyage de la Pensée humaine. Alors tout le reste ne sera que Littérature…Alors sera justifié cet axiome de L.S. Senghor : « La Culture ou la Barbarie »

Quand au Sénégal dans ma petite ville de Saint Louis, ma grand mère disait des contes et légendes dans notre langue vernaculaire, le wolof, les contes et légendes, étaient, pour rompre la monotonie du récit, accompagnes des chants rythmiques. L`enfant de que j`étais alors se souvient de ces chants :

 

Ana cokulé manna fatou yai

Damma doutou ki far gear kimbar

Ana selbembar kai djar lema.

 

Demona qireu tolubai bouryai

Nadi naque yi barré nourou

Samma menou ranié.

 

Riki Raka bombaema qi qi

Qiou an

Sukobe

Bai Laare.

 

Djam djamu hole

Bmoten qi qi jalbi menu

Meke dindi.

                                   (« Kasak »-Wolof du Sénégal)

 

Et plus tard, a l`age de 7 ans, admis a l`école primaire, notre instituteur essayait a nous apprendre « des récitations » en langue française a nous qui ne parlions que notre maternelle, nous faisons alors de par-cœur.

 

Pâle étoile de soir messagère lointaine

Dont le front sort brillant des voiles du couchant,

De ton palis d`azur au sein du firmament

Que regardes tu dans la plaine?

 

La tempête s`éloigne et les vents sont calmés

La forêt qui gémit pleure sur la bruyère

Le phalène doré dans sa course légère

Traverse les près embaumés.

 

Etoile qui descend sur la verte colline

Triste larme d`argent du manteau de la nuit

Toi qui regarde le pâtre qui chemine

Tandis que pas a pas son long troupeau le suit.

 

Ce poème était rythmé comme le chant de ma grand-mère, Ana Kaleré. Et aujourd`hui le jeune homme de 72 ans que je suis se rappelle encore de la récitation de son enfance si bien parce que plus que les paroles c`est la musique qui s`est gravé en moi avant les images et le sens de la parole.. La musique n`a pas besoin de passeport. En Afrique et partout quand un vieillard meurt une monde entière meurt avec lui.

 

                                  

 

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