Quand nous sommes des hiboux nous sommes

des papillons aux mille couleurs

 

                                                                                                  par Adina Dabija

 

Bouba, la dame de la Forêt, et ses poussins

 

 

Ça, on ne pouvait pas le contester : c'était bien un hibou. Il avait des grands yeux entourés de longs cils, qui te regardaient jusqu'au fond du cœur et auxquels aucun détail du monde ne pouvait échapper; avec des sourcils qui formaient une fourche qui tenait la Lune sur le ciel, avec les plumes plus duveteux que les nuages d'hiver. Il s'appelait Bubo Bubo, le Jeune Duc de la forêt, parce qu'il avait un regard noble et, malgré son âge très jeune, sa vie était aussi sereine que cela du vieux hibou, le Grand Duc de la forêt, son père. Bubo Bubo restait toute la nuit sur une branche en méditant et en lisant les livres plus neufs du monde à la lumière de la Lune, de ses propres yeux illuminés par la curiosité. Les nuits de pleine Lune, pendant que tous les autres animaux se faisaient des sérénades dans leurs tanières, il restait seul sur une branche d'arbre et écoutait le silence.

- Houhouhou! disait le hibou.

Et la forêt répondait :

- Houhouhou!

Une nuit, les étoiles étaient très proches de la forêt et la Lune presque aussi grande que ses yeux, Bubo Bubo sentît quelque chose d'étrange qu'il n'avait jamais senti jusque là :

- Qu'est ce qu'il m'arrive? se demandait le hibou.

Il écouta attentivement, il avait l'ouïe fine, mais il n'entendît rien; ensuit il écouta avec son âme et il entendît des murmures et chuchotements confus qu'il ne comprit pas

- Pardon? demandait le hibou.

- C'est moi, le Vent, susurra une voix qui venait du noir de la forêt.

Je t'amène le changement.

- Quel changement? demanda le hibou. Je suis très bien dans mes plumes.

Pourquoi faut-il que je change?

- Je n'en sais rien, répondit il. C'est la loi, dit le Vent et ensuite s'en alla.

Bubo Bubo regarda tout de suite dans ses livres mais il ne trouva rien sur le changement amené par un vent mystérieux. Comme le jour commençait à manger la Lune de la fourche de ses sourcils, le hibou baissa les sourcils pour laisser la Lune s'échapper derrière une montagne et s'endormit. Le soir, une fois réveillé, son âme était remplie de la nostalgie des lieux inconnus, des aventures extraordinaires qui font flotter le cœur. Il alla dire au revoir à son père, ensuite il survola brièvement la forêt de son enfance et s'envola vers le nord, où le portait le Vent.

 

Il vola toute la nuit dans le noir, l'âme remplie d'espoir. Vers le matin, quand les étoiles commencent à fermer leurs yeux, Bubo Bubo vit un sac en plastic jaune qui volait à côté de lui.

- Fais-moi de la place, dit le sac en plastic jaune.

- Pardon? demanda Bubo Bubo. Tu as tout le ciel à ta disposition, va donc ailleurs! Houhouhou!

- Fais-moi de la place, fais-mo de la place, criait le sac en se gonflant. Tu ne vois pas que j'ai des choses à faire?

- Que fais-tu? demanda le hibou.

- Je ramasse les étoiles. Il y a une juste là, sur ton trajectoire!

Fais-moi de la place!

Bubo Bubo lui fit place.

- Tiens je l'ai ratée, dit le sac en plastic jaune offusqué. C'est uniquement à cause de toi!

- Que veut-tu faire avec les étoiles?

- Mon ami, qui est malade, veut jouer avec des étoiles. Je dois lui en procurer au moins trois, sinon il va mourir.

- Tu peux lui donner trois de mes plumes, plutôt.

- Ce n'est pas la même chose!

- Tu peux le chatouiller avec elles, il va rire.

- Mais non, mais non! Rire demande trop d'effort. Je ne ris jamais, je ramasse des étoiles! Et toi, que fais-tu ici?

- Je vole, c'est tout. Je suis un oiseau.

- Ouais, je vois bien que tu es un oiseau, que tu as des ailes et que tu voles. Mais à quoi  servent les ailes si tu ne voles pas vers quelque chose? Si tu n'as pas un but? Même moi, qui n'ai pas d'ailes je peux voler, parce que j'ai un but précis.

- Justement je le cherche.

- Bonne chance, dit le sac jaune avec ironie et s'en allât chercher des étoiles.

Dans l'aurore du matin apparut un sac en plastic rouge.

- Où vas tu? le demanda le hibou.

- Je me laisse porter par le vent, répondit le sac en plastic rouge en faisant des pirouettes.

- Juste comme ça? Tu n'as aucun but?

- Non, répondit le sac en plastic en riant. Quoi, tu en as?

- Je ne sais pas, je n'ai pas encore décidé, dît le hibou.

- Alors tu n'as pas! À quoi bons, les buts? Regarde le ciel! Maintenant le soleil brille mais quand la pluie viendra je tomberai de nouveau dans une flaque et je mourrai d'ennui et de chagrin. Je suis tellement chanceux que le vent m'emporte sur ses lèvres! Quelle aventure! C'est la première fois de ma vie que je vole. Veux-tu me prendre en photo s'il te plaît? Merci. Encore une fois! Merci, merci! Tu vois, nous, les sacs en plastic, on n'a pas de buts.

- J'ai connu un sac en plastic qui en avait.

- Hmmm.... ça doit être un sac jaune. Je ne comprends pas du tout ces types -

les jaunes, sont trop... jaunes! Moi personnellement j'ai juste des rêves. Des rêves rouges. Et le rêve de chaque sac en plastic rouge est de monter vers le ciel comme les oiseaux, libre comme le duvet de pissenlit. Comme je suis heureux aujourd'hui!  Comme c'est magnifique de tourner et tourner jusqu'à l'ivresse... u-houuuu!

- Mais tu n'as pas un rêve plus spécial?

Le sac en plastic rouge devenu pensif.

- J'en avais un... Mais je n'arriverai jamais à l'accomplir.

- Pourquoi?

- Parce que c'est impossible. Tu sais, je t'avoue quelque chose, mais tu ne le dis à personne. Ou peut-être ça se voit..., dit le sac en plastic rouge, rougir encore plus.

- Non, non, je ne vois rien, ça ne se voit pas! C'est quoi?

- Tu sais, j'ai un petit trou en bas.

- Ah, oui?

- Le chien de ma propriétaire m'a composté... je veux dire... de mon ancienne

propriétaire...

- Je suis désolé... Mais je ne vois pas de rapport avec ton rêve.

- Mon rêve est qu'un jour un enfant me prenne et m'utilise comme filet pour attraper les papillons. Sauf que, si j'ai un trou...

- Mais non, mais non, ça ne se voit pas!

- Tu n'as pas d'idée avec combien d'attention regardent les enfants les sacs

en plastique! Surtout s'ils sont rouges...

Comme le soleil se leva sur le ciel, le hibou était de plus en plus fatigué. Il souhaita bonne chance au sac rouge avec un trou secret au fond et descendit pour se reposer sur une branche. Mais le sommeil ne s'en venait pas. "

Moi, pensa Bubo Bubo, je n'ai pas des buts, ni des rêves. Je dois trouver un sens".

 

La deuxième nuit, il regarda attentivement les lieux inconnus qu'il traversait. En survolant la terre, rien n'échappait pas à ses yeux qui pouvaient  surprendre les détails de toutes les choses du monde jusqu'à 10 mètres de profondeur. Ainsi il vit la joie d'un vers en suçant le jus d'une pomme, la tristesse d'une rose qui avait perdu le premier pétale, la colère d'un monsieur rond qui avait perdu son portefeuille rond et le portefeuille dans les mains d'un gamin mince, un vieux piano rose jeté dans rue par ses propriétaires et les gouttes de pluie jouant ses touches, une fleur pressée jaunissant dans un roman pour les filles qui lisent des romans pour les filles, une grenouille qui faisait des sérénades à la une sur une feuille de nénuphar... " Alors vers quoi je m'en vais? " se demanda Bubo Bubo. Il s'assoit sur une branche, et médita, découragé. " Dans ma forêt j'étais beaucoup plus heureux, en écoutant le silence et en regardant les étoiles. Dès que j'ai commencé regarder en bas sur la terre je suis devenu triste. Peut-être faut-il retourner rester sur ma branche et regarder seulement en haut vers le ciel? Peut-être il n'aurait pas fallu écouter le Vent? " Mais avant de prendre une décision, comme il était très fatigué, il s'endormit.

 

Quand il ouvrit ses yeux il vît un lapin qui le regardait avec un air très sévère. Le lapin était habillé en smoking et avait un parapluie dans ses pattes.

- Vas-tu me manger? demanda le lapin.

- Peut-être, ouais, répondit Bubo Bubo en s'étirant. C'est l'heure du souper.

 

- Il ne faut pas! l'avertit le lapin  l'air sévère.

- Tiens! exclama le hibou. On dirait que tu ne manque pas de toupet!

- C'est vrai, reconnut le lapin avec modestie. Je viens d'écrire un poème et j'ai besoin de ton opinion critique.

- Je ne m'intéresse pas à la littérature. C'est trop frivole. Je lis seulement des livres scientifiques et de philosophie.

- Ne t'en fais pas, dit le lapin. J'en ai absolument besoin, dans ce moment même. Mon ami, le loup, est parti à la chasse et je n'ai personne à qui demander. Je compte sur ton esprit critique. Si tu trouves pas le poème bon, alors tu pourras me manger.

Il sortit un  papier et il chaussa des lunettes rondes avec des montures en or, il éclaircit sa voix et il lit comme suit:

 

" Sous les ifs noirs qui les abritent,

Les hiboux se tiennent rangés,

Ainsi que des dieux étrangers,

Dardant leur œil rouge. Ils méditent.

 

Sans remuer ils se tiendront

Jusqu'à l'heure mélancolique

Où, poussant le soleil oblique,

Les ténèbres s'établiront.

 

Leur attitude au sage enseigne

Qu'il faut en ce monde qu'il craigne

Le tumulte et le mouvement,

 

L'homme ivre d'une ombre qui passe

Porte toujours le châtiment

D'avoir voulu changer de place ".

 

- Qu'en penses-tu? demanda le lapin enlevant ses lunettes.

- Hm, dit Bubo Bubo.

- Alors...?

- Hm... entre nous, c'est pas mal. Mais j'ai faim.

- Merci, dit le lapin, gonflant sa poitrine, en pliant le papier et en le mettant dans sa poche. Je te le dédie. Je l'ai écrit aujourd'hui en te regardant pendant que tu dormais.

- C'est gentil, dit Bubo Bubo. Es tu prêt à être mangé?

- Oui, je suis prêt, dit le lapin en regardant Bubo Bubo dans ses yeux. Si tu

n'as pas aimé mon poème...

Le lapin remit ses lunettes et regarda très attentivement le hibou.

- C'est la première fois que je te vois ici. Tu dois venir de loin. Vas-y, tu dois avoir faim.

Un lapin qui n'a pas peur n’est pas du tout apetissant.

- OK, dit Bubo Bubo. Je ne te mange pas parce que tu m'as lu ton poème. C'était pas mal, je te le dis.

- Merci! exclama le lapin. Alors ça marche, se dit-il. Ecoute... peut tu me rendre un service? Raconte moi ce que tu vois quand tu voles.

Et le hibou passa toute la journée en racontant au lapin ce qu'il avait vu pendant son vol.

Vers le matin la pluie a commencé. Le lapin ouvrit son parapluie et dit :

- Merci beaucoup, maintenant je dois m'en aller. Je suis très fragile et j'ai peur de ne pas attraper un rhume. À propos... je m'appelle Charles. Charles Baudelaire.

- Enchanté, dît le hibou.

En écoutant les gouttes de pluie tombant sur les feuilles, Bubo Bubo songea :

" Avant j'étais heureux, mais je ne savais pas tant de choses. Je ne faisais que lire, regarder les étoiles et écouter le silence. J'étais tranquille mais c'était la tranquillité d'un ignorant. Ce lapin n'aurait pas parlé avec moi tout au long de la nuit, j'aurais eu rien à lui raconter et je l'aurait sans doute mangé. Maintenant j'ai vu le monde et je le connais. J'ai bien fait d'écouter le Vent, mais mon voyage est fini. Je resterai dans cette forêt pour le

moment".

En court temps Bubo Bubo devînt le plus respecté oiseau de la bois: tous les animaux lui demandaient des conseils et même Athènes, la déesse, s'assoyait de fois dans la nuit sur son épaule pour lui demander en cachette son avis sur des affaires extrêmement importantes.

 

Jusqu'à une nuit, quand, cherchant des fourmis à manger dans le sol, il découvrit un trou dans la terre d'où venait une voix :

- C'est moi, susurra la voix qui venait du noir du trou. Je t'amène le changement.

- Quel changement? demanda le hibou. Je suis très bien ici, dans ce bois.

Pourquoi faut-il que je change encore?

- Qui sait, répondit la voix.

Le soir suivant quand il se fut réveillé il se souvint tout d'un coup les petites histoires de deux sacs, jaune et rouge. Comme le sac rouge, Bubo Bubo avait maintenant envie de voler au-dessus de la forêt, de rire, de chanter, de danser, de sentir les fleurs, de faire des plumes en air.

- Hou -hou, rit le hibou, comme il était drôle, ce sac en plastique rouge!

Comme il était plein de joie! Voyons, je pourrais même écrire un poème sur lui, ainsi tout le monde va s'en amuser! Il arracha une plume de sa queue et il écrit son premier poème. Ensuite il se rendit à son ami le lapin pour demander son opinion. Le lapin sortit tout de

suite ses lunettes et le lit.

- C'est fantastique, exclama le lapin.

Comme il avait beaucoup de relations dans les cercles artistiques, il présenta Bubo Bubo à Madame Rossignol et lui montra son poème.

- Que c'est beau! soupira Madame Rossignol et composa tout d'un coup un chanson qui devint en très vite le tube du printemps. Tous les oiseaux le fredonnaient et tous les amoureux qui se promenaient aile dessus aile dessous le chantaient.

Hé oui, encore une fois le hibou n'était plus le même! Il oubliait complètement sa sagesse et son esprit critique pour se laisser envahit nuit après nuit par la beauté des étoiles, par le parfum des fleurs de printemps, par le mystère qui faisait pousser l'herbe...

Son poème arriva bientôt aux délicates oreilles de Bouba, la Mademoiselle Hibou. Elle était en train d'arranger ses belles plumes oranges dans le miroir du lac quand elle entendu le chanson du Madame Rossignol. Elle voulut savoir tout de suite qui était l'auteur du poème pour l'inviter lire dans son cénacle.

Mais quand elle le rencontra, elle dit simplement...

- Bonsoir monsieur, est-ce que je peux vous accorder cette danse?

Il faut le dire : elle était un peu audacieuse cette demoiselle...!

Et ils dansèrent ensemble au-dessus de la forêt toute la nuit.

- Houhouhou! disait Bubo Bubo.

- Houhouhou! répondait Bouba.

- Je peux voler dans la Lune! dit Bubo Bubo. Tu sais, personne n'a jamais volé dans la Lune parce que tout oiseau a peur d'abandonner son ombre.

As-tu peur d'abandonner ton ombre?

- Non, je n'ai pas peur, pas avec toi, répondit Bouba.

Et ils allèrent tous les deux dans la Lune. On ne sait pas trop ce qui se passait là-bas, mais on vit parfois la Lune tremblant dans le miroir du lac, même sans un souffle de vent. Et comme le hibou n'était plus sur la terre pour protéger l'astre de la nuit avec la fourche de ses sourcils, chaque matin la Lune se laissait manger par le soleil...

Après un mois les deux hiboux revinrent dans la forêt. Très fatigués de ce long voyage, mais avec les plumes scintillantes. Peu après ils eurent trois jolis poussins duveteux comme leur père. Maintenant le hibou était très occupé à procurer la nourriture et trouver la paille pour le nid et à apprendre les bonnes manières aux poussins, comme il se doit aux enfants d'un duc.

- La tête d'un hibou doit rester droite dans n'importe quelles conditions. Les sourcils doivent bien soutenir la Lune sur le ciel pendant toute la nuit. Le regard doit être tellement profond qu'il pénètre même le mystère du silence des pierres et celui du bruit des cascades. Quand vous regardez une personne vous regardez son âme et non son apparence : ainsi vous devriez être capables de dire combien de temps elle a vécu, à quelle espèce elle appartient, qu'est ce qu'elle a fait dans sa vie et quelles sont les causes de sa souffrance. Allez jouer maintenant.

Son ami le lapin complétait l'éducation des poussins avec de lectures des classiques et Madame Rossignol leur donnait des cours de chant et de danse. Bubo Bubo et Bouba étaient très contants que les poussins soient gardés et deviennent de plus en plus curieux :

- Papa, pourquoi sont les étoiles tombées dans le lac? Comment peut-on faire pour les remettre à leur place sur le ciel?

- Elles ne sont pas tombées, c'est juste une réflexion dans le lac.

- Qu'est ce que c'est ça, une réflexion?

- Une image.

- Maman, est-ce que tout le monde a une image?

- Bien sûr.

- Même moi?

- Oui. Quand tu grandiras, tu pourras aller te regarder dans le lac.

- Et qu'est ce que je verras?

- Toi-même.

- Que suis-je, papa?

- Un petit hibou.

- Et toi, qu'est ce que tu es, papa?

- Un grand hibou.

Les jours d'été passaient l'un après l'autre. Ils étaient de plus en plus courtes et les animaux de la forêt en profitaient pour se faire des provisions pour l'hiver. Une belle nuit d'automne le hibou se promenait avec sa femme au bord du lac et ils se faisaient des plans sur un prochain voyage dans le sud pour présenter Bouba au Grand Duc. Comme il parlaient, Bubo Bubo vit un poisson dans le lac et alla le chercher. Il regarda pour un instant son visage dans le lac et eut un serrement de cœur. Après que sa femme se fut endormie, il revint au bord du lac et continua regarder son image.

- Qu'est ce que c'est, au fonds, un hibou? se demanda-t-il.

Soudain l'eau se troubla et une voix qui venait du fond du lac lui demanda :

- En effet, qui es-tu?

- Je suis un hibou, répondit-il. Le Père Hibou.

- J'en suis pas tellement sûre, répondit la voix. Tu dois aller chercher toi-même.

- Et toi, qui es-tu? demanda l'hibou.

- Je suis l'Eau et je t'apporte le changement.

- Quel changement? Je ne veux plus des changements, je suis heureux, j'ai une

famille et je ne veux pas partir.

- Tu m'as écouté la première fois et tu as trouvé la sagesse; tu m'as écouté la deuxième fois et tu as trouvé l'amour. Pourquoi tu ne m'écouterais pas maintenant aussi? Fais-moi confiance, je suis le pouvoir de la vie, pourquoi as-tu peur?

 

L'âme du hibou fut troublée. Dans les jours suivants il goûta la nostalgie des nuits quand il écoutait le silence et son regard pouvait plonger jusqu'au cœur de lui-même. Il pensa que depuis qu'il avait connu l'amour il était devenu sourd et aveugle à lui-même et cette idée ne le laissa plus en paix. Vers la fin de l'automne, après avoir installé les petits et leur mère dans un creux confortable, le hibou parla à sa femme. Il lui raconta comment lui ont parlé le Vent, la Terre et les Eaux :

- Je dois m'en aller. Je dois trouver moi-même pour retrouver ma paix. Prends soin de toi et des petits.

- Faut-il absolument que tu partes? demanda sa femme en pleurant.

Mais le hibou ne répondit pas. Il l'embrassa et essuya ses larmes, en espérant qu'elle comprendrait un jour.

 

L'hiver s'approchait et avec elle le froid et la neige prenaient possession de l'espace et du temps. À perte de vue il faisait blanc. Les êtres pouvaient finalement oublier. Les soucis, les espoirs, les malheurs et l'amour dormaient sous la neige. Les âmes furent enfermées dans les cages des corps. Bubo Bubo volait vers le sud, vers sa forêt natale. Il avança très lentement parce qu'il ne voyait pas bien, à cause de l'éclat de la neige. Les questions creusaient sa tête. Sa sagesse lui semblait maintenant folie; la poésie - une illusion; son attachement et son amour - vanité. Il avait hâte d'arriver plus vite dans sa forêt natale et retrouver son père. Il avait besoin de lui parler. À la fin de son voyage il apprit que son père le Grand Duc était mort. L'âme remplie de chagrin, Bubo Bubo partit sans d'avoir une idée précise d'où il allait et de ce qu'il allait faire. Il avança difficilement dans la tempête de neige. Il ne vit pas le fil d'électricité. Il tomba sur la terre avec les ailes brûlées. Les flocons le recouvrirent instantanément.

 

- Pourquoi en as-tu besoin? demanda la mère elfe.

- En effet, je ne vois aucun raison de le garder, confirma le chaton, en mettant son œil de verre rouge pour voir mieux. Il n'a même pas d'ailes. Donne-le moi, j'ai faim.

- Hors de question, protesta la petite elfe. C'est moi qui l'ai trouvé, c'est mon hibou et je veux jouer avec lui.

- Mais la forêt est pleine de hiboux, répondit sa mère. Tu pourrais au moins choisir un qui ai des ailes. Et en plus toutes les filles elfes ont des aigles, pas des hiboux.

- Non, je veux celui-ci, il est spécial. Il sera mon aigle.

- C'est trop tard, remarqua le chat en écoutant le cœur de Bubo Bubo.

Il est déjà mort.

- Ce n'est pas vrai, exclama la petite elfe. Son corps est encore chaud!

Maman, fais-le moi vivant!

- Non, riposta l'elfe. Tu n'as pas fait tes exercices de magie et de vol pour demain.

- OK, je vais me le ressusciter seule, décida la petite elfe et prit le manuel de magie.

D'abord, elle transforma Bubo Bubo en citrouille - erreur élémentaire de magie.

- Non, c'est pas ça, murmura la petite elfe.

Elle essaya encore quelques tours de magie, sans succès.

- Ouf, soupira la petite, c'est dans le chapitre Vrai Magie. Je ne suis arrivée qu'au chapitre Petits Trucs de Magie. Sauf... " si vous voulez vraiment ressusciter quelqu'un de sa Mort, même si vous soyez au début de votre carrière, vous devrez l'Aimer à un tel point que votre Amour pour lui soit plus fort que le pouvoir de la Mort " Ah, oui, c'est ça, mon amour est plus fort que le pouvoir de la mort! Hocous-Pocous!

La petite elfe attendit un peu mais rien se passa. Elle continua donc lire :

- " ... ou bien que l'Amour de quelqu'un de ce Monde pour lui soit plus fort que le pouvoir de la Mort ". Amour de quelqu'un pour ce hibou, es-tu plus fort que les ténèbres de la mort? Hocous Pocous.

Tout d'un coup les ailes de Bubo Bubo ont prit à bouger.

- Ça y est! exclama la petite elfe.

Bubo Bubo ouvrit ses yeux. Il ne comprit pas ce qui lui arrivait.

- Où suis-je? demanda-t-il.

- Il y a quelqu'un qui t'aime, dit la petite elfe. C'est qui?

- Je ne sais pas, répondit le hibou. Je ne souviens plus.

- Alors, vas-tu jouer avec moi? demanda l'elfe.

- Je me sens très affaibli, dit le hibou.

- Je vais te chercher quelque chose à manger.

Dans la maison de l'elfe le temps n'existait pas. Les jours s'écoulaient l'un après l'autre, sans fil, ni mémoire, ni espoir. Chaque jour ressemblait au précédent. Le visage rond du hibou s'aiguisa comme celui d'un aigle. Cette fois-ci non seulement il n'était plus le même, comme lors des autres changements, mais il était à vrai dire complètement un autre. L'Eau lui avait dit d'aller chercher soi-même, et cela très, très loin de ce qu'il avait cru être - un hibou, justement dans le corps d'un aigle. Il vivait maintenant à des hauteurs

étourdissantes, que les hiboux ne peuvent jamais atteindre, où il portait la petite elfe. Il n'était ni heureux ni triste et son âme était devenue de glace, comme toutes les âmes des aigles. Sa maître l'apprenait d'être un vrai aigle d'elfe. " C'est quelque chose d'assez simple : dès que tu en crois en magie et en miracles, ils existent. Il faut juste en croire, lui expliquait elle. Il s'agit simplement de mettre des forces en liaison les unes avec les

autres pour qu'elles travaillent ensemble ".

Chaque soir avant de s'endormir la petite elfe lui demandait de lui lire une petite histoire pour les petites elfes. Une fois elle amena un livre tout nouveau et elle lui demanda d'y lire à voix basse pour que sa mère n'entende pas. (La poésie moderne est tout à fait interdite aux elfes, surtout quand ils sont jeunes, parce qu'elle risque de troubler la nature mythologique de leur âme).

L'aigle ouvrit le livre et tomba sur un poème écrit d'un certain Bubo Bubo, un hibou mystérieux. Dans la page suivante il y avait un poème célèbre de Charles Baudelaire, le lapin. 

- Pourquoi t'es tu arrêté? demanda la petite elfe. Qu'est ce qu'il y a?

- Rien, répondit Bubo Bubo. Il me semble très connu ce poème.

- Bien sûr, répondit la fille. C'est Baudelaire!

Depuis ce jour l'aigle devenu pensif. Il resta toute la nuit à la fenêtre et regarda loin à  l'horizon. Il n'avait plus envie de voler.

- Dans quelle année on est? demanda-t-il un jour.

- Ce n'est pas une question d'aigle, répondit la petite elfe. Tu sais que ça n'a pas d'importance. Le temps n'existe pas, c'est une invention des humains.

- Mais même toi mourras un jour, n'est pas?

- J'ai juste 128 ans. Les elfes vivent jusqu'à 700-800.

- Mais après ça tu mourras quand même?

- Oui, d'une certaine manière. Mon corps sera poussière. Mais ça n'a pas d'importance, ce qui est le plus important en moi ne mourra jamais.

- C'est quoi?

- C'est... la trace que je laisse dans l'air et dans les âmes des autres avec mon rire.

L'aigle se demanda s'il avait aussi un côté immortel. Avait-il laissé une trace dans l'âme des autres? C'était un mystère difficile à résoudre parce qu'il y avait un grand problème : c'étaient qui ces "les autres "? D'où venait-il? Il n'avait pas de souvenirs. Il pensait encore aux poèmes qu'il avait lus et il écrit une lettre de félicitations à Charles Baudelaire. Après quelques jours, il reçu une lettre en réponse:

 

Cher Monsieur Aigle,

 Malheureusement notre ami le poète Charles Baudelaire est parti en tournée pour lancer son nouvel recueil de poèmes. Je vous rendrai une courte visite un de ces jours pour en parler.

 Bouba, la Dame de la Forêt

 

Dès qu'elle avait vu la lettre, Bouba avait su qu'il s'agissait de son mari. Elle avait reconnu son écriture. Comme elle l'avait cherche pendant des années! Comme elle avait prié qu'il soit en vie et rien de plus! Mais il y avait une chose qui l'intriguait : pourquoi avait-il signé  "aigle "? S'agissait-il vraiment de son mari? Elle se prépara pour le voyage avec beaucoup d'émotion et d'espoir.

 L'aigle la reçut très poliment, avec sa froideur habituelle. Il la regarda attentivement sans la reconnaître. L'invita à un court survol de protocole en parlant de Charles Baudelaire et de la poésie en général. Bouba était choquée par sa nouvelle apparence et surtout par sa froideur, mais elle avait appris, après tant d'années, la patience. Elle avait apporté avec elle tous les poèmes de son mari, ainsi que les poèmes qu'elle-même avait écrits. Elle commença à les lire un par un mais l'aigle ne les reconnaissait pas. De plus, il avait eu sur la plupart des commentaires défavorables. Mais elle était tellement heureuse d'entendre sa voix!

- Regardez la Lune, elle lui dît. Vous ne sentez rien quand vous la voyez?

- Non, dît l'aigle.

- Ça vous dit rien... la lune. Vous n'avez pas l'impression d'avoir déjà été là...

- Non, ça me dit rien, la lune, reconnût l'aigle.

- Il faut que vous vous efforciez de sentir quelque chose, sinon votre âme restera de glace pour toujours! dît Bouba au but de son espoir.

- Mon âme est froide et je ne crois pas qu'il y ait quelque chose qui pourrait la réchauffer, répondit l'aigle. Au revoir, dît il et s'en allât vers les hauteurs du ciel, qu'un hibou ne pouvait atteindre.

Bouba le regarda avec les yeux remplis de larmes. Elle rassembla toutes les forces de son âme et demanda l'aide du quatrième pouvoir de la vie, le Feu :

- S'il y a vraiment une Pouvoir et une Loi, alors que le Feu de mon amour fasse fondre la glace de son âme.

Tout de suite les flammes de l'âme de Bouba brûlèrent son corps et ses plumes. Bouba devînt une volée de papillons en mille couleurs. L'aigle tourna la tête et reconnût les papillons qu'il avait vus dans le miroir magique de sa maîtresse. Il sut alors que c'était bien sa propre âme cette envolée de couleurs magnifiques et se souvint du passé et de l'avenir. Pour un instant, les deux volèrent dans la nuit dans ce nouvel état d'agrégation, laissant dans l'univers la trace de cette histoire que je vous raconte. Ensuite ils  retournèrent dans leur forêt et vécurent comme des hiboux mortels. Remodelé par les flammes, l'aigle reprit son apparence de hibou et il redevint le père de ses poussins, le poète, l'amoureux, le sage et l'illuminé dans le même temps. Et quand la cinquième voix, le métal, est venue pour amener le dernier changement, la mort, Bubo Bubo siffla doucement un nouveau morceau très en vogue à l'époque. " Assez!", répondit-il à la voix, mettant ses lunettes de soleil et alla prendre se baigner. C'était presque l'heure de souper et il avait déjà vu l'essence éternelle de son âme.          

 

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